Le rapport entre l’image et le texte dans
l’illustration de poésie enfantine
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Luís Camargo

Écrivain et illustrateur brésilien de livres pour enfants, né à São Paulo en 1954.
Développe recherches sur l’illustration dès 1982, ayant publié divers articles et
le livre Ilustração do livro infantil (L’illustration du livre pour enfants), 1995.

        

 

Résumé: Ce texte aborde les fonctions de l’image, les sens dénotatifs et connotatifs de l’image, et la présence de quelques figures de rhétorique dans le langage visuel. Il propose le concept de cohérence intersémiotique pour l’étude du rapport entre l’image et le texte dans l’illustration de poésie enfantine, exemplifiant les trois degrés de cohérence – la convergence, le détour, la contradiction – avec trois illustrations pour le poème « Le Moustique Ecrit » de Cecília Meireles. 

 

On attribue usuellement à l’illustration les fonctions d’orner ou d’élucider le texte auprès duquel elle apparaît. Cependant, l’illustration – comme toute image – peut en avoir bien d’autres: fonction représentative, descriptive, narrative, symbolique, expressive, esthétique, ludique, conative, métalinguistique, phatique et ponctuation. 2

L’image a fonction représentative quand elle imite l’apparence de l’être auquel elle se réfère; fonction descriptive, quand elle détaille cette apparence; fonction narrative, quand elle présente l’être représenté en devenir, au moyen de changements (dans l’état de l’être représenté) ou d’actions (par lui réalisées); fonction symbolique, quand elle suggère sens superposés à son référent, y compris arbitrairement, comme c’est le cas des drapeaux des divers pays; fonction expressive, quand elle révèle des sentiments et valeurs de l’émetteur de l’image, aussi bien quand elle souligne des émotions et des sentiments de l’être représenté; fonction esthétique, quand elle accentue la forme du message visuel, c’est-à-dire, sa configuration visuelle; fonction ludique, quand elle est orientée vers le jeu, y compris l’humour comme modalité de jeu, soit en rapport à l’émetteur, au référent, à la forme du message visuel ou au récepteur; fonction conative, quand elle est dirigée vers le récepteur, visant à influencer ses habitudes au moyen de procédés persuasifs ou réglementaires; fonction métalinguistique, quand le sujet de l’image est le langage visuel lui-même ou étroitement lié à lui, comme citation d’images etc.; fonction phatique, quand l’image souligne le rôle de son propre support; fonction de ponctuation, quand l’image est orientée vers le texte auprès duquel elle est placée, en signalant son début, sa fin ou ses parties, en créant des pauses ou en soulignant certains de ses éléments.

Bien plus qu’orner ou élucider un texte, l’illustration peut, donc, représenter, décrire, narrer, symboliser, exprimer, jouer, persuader, régler, ponctuer, au-delà d’attirer l’attention vers son support ou vers le langage visuel. On doit souligner que rarement l’image a une seule fonction, mais, comme dans le langage verbal, les fonctions sont organisées hiérarchiquement à l’égard d’une fonction dominante.

 

Le couple dénotation/connotation

La signification d’une image embrasse des sens dénotatifs et connotatifs: les premiers se réfèrent à l’être que l’image représente, le sujet de l’image; les sens connotatifs se réfèrent aux associations suggérées par l’image. Le sens dénotatif dépend de la fonction représentative; le sens connotatif, du comment l’image représente, autrement dit, de la fonction esthétique. L’analyse de l’illustration doit, donc, envisager les pôles dénotatif et connotatif, c’est-à-dire, les sens qu’émergent de ce que l’image représente tout aussi bien que comment elle le fait.

 

La rhétorique visuelle

Les figures de rhétorique sont des procédés que modifient ou soulignent les sens des mots. Certaines de ces figures ont des correspondances dans le langage visuel, comme l’hyperbole, la métaphore, la métonymie et la personnification. Dans le langage visuel, l’hyperbole correspond aux procédés d’exagération, comme, par exemple, dans la caricature; la métaphore correspond à changements dans l’image – ou dans sa signification – au moyen de rapports de similarité, par exemple dans l’image d’une écrevisse à la plage dans une réclame de protecteur solaire, pour suggérer l’idée de devenir « rouge comme une écrevisse »; la métonymie correspond aux cas où un être est représenté par une image étroitement liée avec lui, c’est-à-dire, où il y a un rapport objectif entre l’image et l’être représenté, par example, dans la représentation d’une partie d’un être pour suggérer l’être entier, comme les photos d’identité pour documents, que sont interprétées comme se rapportant à personnes toutes entières, pas à têtes décapitées; la personnification est l’attribution de traits humains à d’êtres d’autres royaumes (animaux, arbres, pierres etc.), tout aussi bien qu’à idées abstraites, comme les figures allégoriques représentant la justice, la liberté etc.

 

 

Le rapport entre l’illustration et le texte: la cohérence intersémiotique

Si l’on croit que l’illustration est une image que suit un texte, il faut, donc, reconnaître que l’illustration isolée n’a pas de fonction, mais seulement par rapport à un texte. Je ne parle pas, ici, du livre d’image (sans texte), mais du livre illustré. Ce rapport, on peut le nommer cohérence intersémiotique, dénomination qu’emprunte et amplifie le concept de cohérence textuelle. On peut comprendre la cohérence intersémiotique comme le rapport de cohérence, c’est-à-dire, de convergence ou de non-contradiction, entre les sens dénotatifs et connotatifs de l’illustration et du texte. Comme cette convergence arrive seulement dans les cas idéaux, on peut parler de trois degrés de cohérence: la convergence, le détour et la contradiction. Évaluer, donc, la cohérence entre une illustration et un texte signifie évaluer dans quelle mesure l’illustration converge vers les sens du texte, s’y détourne ou les contredit.

Voyons un exemple de ces trois degrés de cohérence dans trois illustrations pour un poème enfantin de la poétesse brésilienne Cecília Meireles (1901-1964), « Le Moustique Écrit ».

 

 

Le Moustique Écrit

Le moustique à jambes longues
tresse ses jambes, fait un M,
puis il tremble, tremble, tremble,
fait un O bien oblong,
fait un S.

 

Le moustique monte et descend.
Avec son art rusé
il fait un Q,
fait un U et fait un I.

 

Ce drôle
de moustique
croise ses pattes, fait un T.
Ensuite
il s’arrondit et fait un autre O,
plus joli.

 

Oh! Il n’est plus analphabète,
cet insecte
puisqu’il sait écrire son nom.

 

Mais ensuite il va chercher
quelqu’un qu’il puisse piquer,
car écrire est fatigant,
n’est pas, mon enfant?

 

Et il a beaucoup de faim.

 

 

Le poème « Le Moustique Écrit » intègre le livre Ou ceci ou cela, publié en 1964. Le poème narre une scène déjà explicité au titre: un moustique écrit son nom, le mot MOSQUITO (MOUSTIQUE). La narration est agile comme un dessin animé, soulignant l’action, qui est traduite grammaticalement par la quantité de formes verbales. Il y a une allusion à la calligraphie: le moustique fait un O bien oblong et, ensuite, un autre O, plus joli, et on peut entendre ce plus joli comme plus arrondi, dès que le moustique s’arrondit pour faire le second O. Le premier O n’est pas seulement oblong mais bien oblong, ce que souligne le contraste avec la calligraphie soigneuse du second O. Le moustique reçoit traits humains, puisqu’il écrit son nom, ce que lui donne une connotation positive, au-delà de suggérer le moustique comme un mime et la scène comme une pantomime.

Orienté vers l’enfant, ce qu’est explicité par le vocatif dans l’avant-derrière strophe – n’est ce pas, mon enfant? – le poème cherche d’éveiller sa sympathie envers du moustique. La connotation positive du moustique ne vise pas, évidemment, à détruire des notions d’hygiène et santé, par exemple, le moustique comme transmetteur de maladies, mais à souligner le caractère ludique de l’écriture.

 

L’illustration de Maria Bonomi3

L’illustration de Maria Bonomi pour le poème « Le Moustique Écrit » (MEIRELES, 1964), une xylographie en jaune sur noir, occupe une page tout entière. L’illustration représente huit moustiques, en quatre lignes, formant avec ses corps et ses pattes les lettres MO, SQ, UI et TO, c’est-à-dire, MOSQUITO (MOUSTIQUE).

Les moustiques sont représentés avec économie et dynamisme. Les pattes ont été réduites à deux, ce que, avec la posture verticale, connote les deux pattes comme jambes, personnifiant les moustiques.

La plupart des moustiques sont par-devant. Ceux que forment les lettres S et T sont de profil. Deux moustiques se penchent la tête la première: ceux qui forment les lettres U et I. La disposition des moustiques sur la page, la variété des positions et leur stylisation créent une atmosphère ludique. La disposition des lettres rompt la lecture horizontale, tournant la lecture en jeu, ce qu’est encore un élément du caractère ludique.

L’illustration raconte une scène, la pantomime d’un moustique qu’écrit, avec son corps, le mot MOSQUITO (MOUSTIQUE), ce que paraît l’amuser, suggérant qu’écrire peut se transformer en divertissement.

 

L’illustration d’Eleonora Affonso

L’illustration d’Eleonora Affonso et le poème « Le Moustique Écrit » partagent une page: à la moitié droite, le poème; à la moitié gauche, l’illustration, que représente un moustique en diagonal sur la page, en présentant deux licences poétiques: le moustique est bleu et il a seulement une paire d’ailes et non deux, comme serait correct. Au contraire de la réduction du numéro des pattes dans l’illustration de Maria Bonomi, cette réduction ne parâit pas avoir fonction sémantique.

La stylisation chromatique, c’est-à-dire l’usage d’une couleur non-référentielle se prolonge dans la stylisation des formes: il y a une certaine géometrisation, que, toutefois, n’écarte pas les irrégularités propres du dessin à main libre. La fonction esthétique se prolonge dans le rythme visuel: linéaire, formel et chromatique. Linéaire, dans les lignes que divergent du corps aux extrémités des ailes. Formel, dans la symétrie des taches demi-circulaires dans les ailes et des petits points placés à gauche et à droite le long de la partie supérieure du corps du moustique. Chromatique, dans l’alternance de tons de bleu dans le corps (bandes alternativement claires et foncées) et symétrie de tons dans les ailes, c’est-à-dire, bleu clair près du corps et presque transparent dans les extrémités.

Les pattes antérieures (supérieures par rapport à la marge supérieure de la page) semblent former un O pas totalement fermé et une des pattes postérieures (l’inférieure droite par rapport à la marge inférieure de la page) forme une espèce de Z, ce que suggère un moustique danseur. Le moustique est plus près de la marge supérieure que de la marge inférieur, ainsi l’inclination et l’hauteur suggèrent vol et, ainsi, un moustique qui vole en dansant. Dans l’illustration de Maria Bonomi, la verticalité du moustique suggérait l’appui sur une ligne de terre implicite et, de cette façon, une pantomime, pas un vol.

La couler du moustique, bleu, couleur froide, suggère profondeur, l’introversion, le calme, l’imagination etc. Le bleu connote, ainsi, le moustique comme un insecte imaginaire.

 

 

L’illustration de Beatriz Berman

L’illustration de Beatriz Berman (MEIRELES, 1990) est une vignette, dans le coin supérieur droit, représentant un moustique parallèle à la marge latérale, en piquant une lettre Q. Le descriptivisme, toutefois, est maladroit, et on ne perçoit pas si le moustique a six ou cinq pattes.

L’illustration a un trait légèrement narratif: les actions de pauser et de piquer, que, toutefois, sont au-dessus de la narrativité du poème. On doit observer, encore, que pauser, et donc s’arrêter, contredisent l’action (narrée) et l’agilité (connotée) dans le poème et que piquer y est une action secondaire. De cette façon, l’illustration contredit des dénotations et des connotations du poème.

 

Les rapports entre le poème « Le Moustique Écrit » et ses illustrations

L’illustration de Maria Bonomi présente la majeure convergence envers le poème: la narration, l’agilité, la personnification du moustique, le jeu avec l’écriture et la réitération des lignes, des formes et des couleurs que converge vers la réiteration phonique, lexicale et syntaxique dans le poème. Cette illustration est la seule que souligne le ludique, en convergeant, donc, vers la fonction dominante dans le poème.

L’illustration de Eleonora Affonso suggère un moustique danseur, ce que converge vers la connotation de moustique-mime dans le poème. La disposition des pattes suggère la formation de lettres, en evitant d’expliciter le récit du poème, ce que peut inciter l’imagination du lecteur. La fonction esthétique dans la représentation du moustique converge vers la fonction poétique dans le poème. Cependant, le bleu – dans l’illustration – connote calme et rêverie, en contradiction à l’agilité et le caractère ludique extrovertie du poème. L’illustration, donc, converge vers les sens du poème, mais, à un certain point, elle s’y détourne.

L’illustration de Beatriz Berman, avec son descriptivisme, a une connotation entomologique, au rebours du poème.

En résumant, entre le poème « Le Moustique Écrit » et l’illustration de Maria Bonomi il y a un rapport de convergence; entre l’illustration de Eleonora Affonso et le poème, un détour; l’illustration de Beatriz Berman est en contradiction envers le poème.

 

Conclusion

L’illustration établit un rapport sémantique envers le texte. Dans les cas idéaux, un rapport de cohérence, ici denominé cohérence intersémiotique, puisqu’elle articule deux systèmes sémiotiques: les langages verbal et visuel. Entre la contradiction et le détour il n’y a pas de différence de nature, mais variation d’intensité, dont le limite est difficile d’établir avec précision. La convergence entre l’illustration et le texte n’est jamais une équivalence absolue, en raison des différences entre les langages verbal et visuel. C’est pour ça qu’on ne doit pas demander à l’illustration qu’elle représente tout ce qu’est denoté dans le texte, puisqu’elle peut établir un rapport métonymique envers le texte que peut être, d’ailleurs, plus instigateur que la minutie référentielle. Tout aussi bien, on ne doit pas demander que l’illustration traduise toutes les connotations du texte. Ça n’est pas possible, à cause des différences des deux langages, ce qu’arrive dans la traduction même d’un texte d’une langue à autre.

Si l’on croit que l’illustration est une image que suit un texte et non pas son double, et que le rapport entre l’illustration et le texte n’est pas de paraphrase, de glose ou de traduction, mas de cohérence, il peut s’ouvrir pour l’illustrateur un éventail de possibilités de convergence envers le texte, convergence que ne limite pas l’expérimentation du langage visuel, mais, tout au contraire, peut la pousser.

 

Bibliographie

MEIRELES, Cecília. Ou isto ou aquilo. Il. Maria Bonomi. São Paulo: Giroflé, 1964.
_____. _____. Il. Eleonora Affonso. 2.ed. Rio de Janeiro: Civilização Brasileira, 1977.
_____. _____. Org. Walmir Ayala. Il. Beatriz Berman. 2.ed. Rio de Janeiro: Nova Fronteira, 1990.